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Interview
Pierre Maheo
Fondateur Officine Générale 

« Je travaille énormément, mais je suis passionné par ce que je fais donc je ne le vois pas comme une contrainte. »

Pierre Maheo reçoit dans son antre, dans une petite rue du 6ème arrondissement. Un bureau-QG en duplex transformé en ruche à l'étage supérieur où les bureaux ouverts sont installés. L'étage inférieur, entre le rez-de-jardin et le sous-sol, accueille un espace modulable, où sont, ce jour-là, installées sur des rangées de portants les nouvelles collections masculines et féminines d'Officine Générale. Ici et là, de grands panneaux déploient des moodboards, autour d'images d'archives, d'inspirations et de bouts de tissus. Entre les vêtements, amples, confortables, bien coupés dans des matières de qualité et le mobilier, élégant mais sans chichi, l'univers qu'a su créer Pierre Maheo depuis ses débuts en 2012 prend corps partout où l'on pose les yeux. Y compris sur le créateur, lui qui a lancé sa marque autour de pièces qu'il ne trouvait pas ailleurs et qu'il voulait porter tous les jours. "J'essaie 100% des pièces homme, toujours, entre 350 et 400 essayages par an, je veux maitriser le produit de A à Z", explique-t-il.

Ouverture et installation de nouvelles boutiques aux États-Unis (Los Angeles, New York), lancement de pièces vintages dans les boutiques, et développement de la ligne femme, Pierre Maheo est au four et au moulin, plus impliqué que jamais.

Quels sont les différents dossiers qui  t'occupent en ce moment ?

Nous avons ouvert neuf boutiques ouvertes en un peu moins de deux ans. Dont quatre aux États-Unis. Ça a été beaucoup de travail depuis que les frontières américaines ont ré-ouvert. Ce qui a été encourageant c'est que dès la première heure de la première boutique à New-York, sur Lafayette, ça n'a pas désempli et les chiffres ont dépassé nos prévisions. Ensuite, Los Angeles, où l'on a ouvert deux autres boutiques, dont une grande à West Hollywood, en avril 2023. Et puis une autre sur Madison Avenue, entre Prada et Ralph Lauren. À chaque fois, c'est le fruit de rencontres, d'opportunités que j'ai eu envie de saisir. Les autres adresses ont ouvert à Londres, 5 en France (dont 3 à paris). Là, on va faire une petite pause (rires).

À quel point est-ce que tu veux que l'expérience boutique soit spéciale chez Officine Générale ? 

J'y réfléchis tous les jours ou presque. C'est comme ça que mon rapport à la mode s'est construit, en touchant, en essayant, en portant. Les clientèles sont différentes d'un quartier à un autre, d'une ville à une autre, donc on passe notre temps à adapter le merchandising. Après toutes ces ouvertures, cette année on veut stabiliser et fidéliser nos clientèles des nouvelles boutiques. Cela marche main dans la main avec le digital, je n'invente rien en le disant. Nous avons complétement reformaté toute notre plateforme. Quand tu grossis, tout doit grossir autour. Et il faut aussi structurer l'offre différemment, les catégories, les lignes. Là on développe notre ligne de permanents, qu'on appelle les daily classics, et que nous sommes désormais les seuls à distribuer, en retail et online. C’est une ligne que j’ai lancée en pensant au marché américain aussi, je n’avais pas envie de vendre un T-shirt blanc à 100 dollars. J’avais envie d’avoir un T-shirt blanc à un prix juste donc on l’a fait avec un coton organique, recyclable, qui nous a pris un an à lancer parce que faire le produit le plus simple, c’est ce qui est le plus compliqué. On a repris chacun de nos standards. Aujourd'hui, daily classics représente à peu près 35% des pièces vendues aux États-Unis... Pour revenir à l'expérience boutique qui doit être adaptée et personnalisée, on propose aujourd'hui des pièces vintage en boutique.

Comment tu gères ce projet vintage, qui est une nouveauté pour Officine Générale ?  

Je ne vais pas mentir, je me suis mis dans une logique un peu esclavagiste avec ce nouveau projet, mais c'est que qui me fait vibrer en ce moment, et c'est très important pour moi. Je gère les achats en direct avec des gens qui sourcent les pièces aux États-Unis ou en personne quand je vais à Los Angeles. C’est plus un service que je rends à mes clients qui n’ont pas le temps ou l'envie d’aller chiner un produit mais qui aimeraient bien l’avoir. J'achète ce que j'aime, des T-shirts, des sweatshirts, des vestes militaires, quelques bombers, des Varsity jackets, un peu de 501. Années 80 ou 90 essentiellement, made in USA. On cherche tous la même chose, ils sont chers, leur nombre n’augmente pas et n’augmentera plus jamais, la qualité de ces anciennes productions n'a pas d'égal, alors c'est beaucoup de temps et de recherche pour trouver la perle rare. Après, quand je croise des clients qui sont contents, qui adorent ce qu’ils ont acheté... C'est la récompense. J'adore laisser une empreinte à mes clients.

Comment fait-on pour qu'une entreprise grossisse et évolue en dirigeant seul ?

Alors justement, en n'étant pas seul. S'entourer est primordial. J’ai engagé une DG il y a trois ans, Vanessa Bonnefoux, avec qui je travaille très bien. Je ne sais pas tout faire. Pour les boutiques je suis en première ligne, avec une architecte exécutive qui dessine et avec ma femme, on choisit ensemble les meubles qu’on chine… Sur les collections aussi mais c’est important d’avoir une répartition des tâches. Je ne suis pas toujours à Paris, je ne suis pas le mieux équipé pour présenter des comptes à un banquier, je n’ai pas forcément le vocabulaire, et les réponses ne sont pas automatiques. Même si je m’y intéresse et que je suis très investi. C'est un équilibre entre ne pas tout garder, et savoir quoi garder. J’ai plus que jamais pour adage de ne surtout pas changer ma recette. Mon métier c’est de réinventer une veste bleu marine à chaque saison, je ne veux pas non plus me lancer dans des choses que je ne maîtrise pas, on essaie de moderniser ou apporter une petite touche de frais, avec subtilité, il faut connaître la marque pour la voir. On ne passe pas d’un coup du Parisien à l’Hawaiien… Je ne sais pas faire ça et je ne veux pas faire ça, je pense que c’est la meilleure façon de se casser la gueule.

Comment vois-tu la suite pour Officine Générale ?

Aujourd’hui, je fais 100% de mon chiffre d’affaires sur du prêt-à-porter, donc j'aimerais ouvrir des catégories qui n’existent pas encore, pour grandir et évoluer. Des catégories qui m’intéressent, où l'on a notre mot à dire d’un point de vue qualitatif et sur l’origine de production. L’accessoire par exemple, chez la femme et un peu chez l’homme. Et je pense qu’on a encore une croissance organique importante, on a des clients très fidèles et de nouveaux clients chaque année, donc oui on a de belles perspectives d’évolution dans un contexte macro qui n’est pas simple. On a fait une très belle année 2023, +25% sur notre e-shop par exemple, même si on prévoit une stabilisation pour 2024 parce qu’on a deux guerres en cours et un contexte international qui est compliqué. Donc on est précautionneux sur l’année à venir. Bien sûr on pense à l'Asie, un marché qui est quasiment vierge pour nous. Nous sommes à Séoul en Corée, où l'on a un distributeur, mais c’est notre seule zone géographique asiatique pour le moment. Nous ne sommes pas du tout en Chine, ce qui est une erreur d’ailleurs, mais j’ai choisi de développer le marché américain en premier mais ça nous laisse de la marge et de beaux projets à développer. 

L'agenda ne va pas se vider tout de suite...
Je travaille énormément. C'est intense, mais je suis passionné par ce que je fais donc je ne le sens pas comme une contrainte.